Tout commence en 2017 quand les avocats d'Apple ont envoyé une lettre à Henrik Huseby, le propriétaire d'un petit atelier de réparation d'appareils électroniques en Norvège, lui demandant d'arrêter immédiatement d'utiliser des écrans d'iPhone de rechange dans son entreprise de réparation. En fait, les douaniers norvégiens avaient saisi une cargaison de 63 écrans de remplacement pour iPhone 6 et 6S en route vers la boutique d'Henrik depuis l'Asie et avaient alerté Apple, la compagnie a déclaré qu'ils étaient contrefaits.
Afin d'éviter d'être poursuivi en justice, Apple a demandé à Huseby « des copies de factures, des listes de produits, des formulaires de commande, des informations de paiement, des impressions sur Internet et autres documents pertinents concernant l'achat [d'écrans], y compris des copies de toute correspondance avec le fournisseur ... nous nous réservons le droit de demander d'autres documents à une date ultérieure ».
La lettre, envoyée par Frank Jorgensen, un avocat du cabinet d'avocats Njord pour le compte d'Apple, comprenait un accord de règlement qui lui notifiait également que les écrans seraient détruits. L'entente de règlement stipulait que Huseby acceptait de ne pas fabriquer, importer, vendre, commercialiser ou traiter de quelque façon que ce soit des produits qui portent atteinte aux marques d'Apple, et lui demandait de payer 27 700 couronnes norvégiennes (2623 euros) pour mettre fin au problème sans passer par un procès.
Étant donné qu’Huseby n’a pas voulu signer cette lettre, Apple a engagé des poursuites en 2018. Selon les médias locaux, Apple a envoyé cinq avocats dans la salle d'audience pour cette affaire.
La question en litige dans l’affaire concernait la définition de ce qui fait d’une pièce de rechange une « contrefaçon ». Les écrans achetés par Huseby ont été remis à neuf, a-t-il expliqué, n’ont jamais été annoncés comme pièces de rechange officielles d’Apple et ne peuvent donc pas être appelés des contrefaçons. Les logos Apple à l'écran ont été repeints et ne seraient de toute façon visibles pour aucune personne utilisant un iPhone réparé (les logos seraient orientés vers l'intérieur du téléphone).
En avril 2018, la cour a décidé que, parce que les logos n'étaient pas visibles, la marque de commerce d'Apple n'a pas été violée et Huseby a gagné l'affaire. Malgré avoir initialement perdu le dossier en 2018, Apple a décidé de poursuivre son action en justice contre le propriétaire de PCCompanet, dont l’activité consiste à réparer des PC cassés ainsi que des appareils mobiles parmi lesquels ceux d’Apple.
Apple a fait appel de cette décision en juin 2019 auprès d’un tribunal norvégien supérieur. Ce qui a conduit les militants du droit à la réparation de se demander pourquoi l'entreprise la plus précieuse du monde continue de s'en prendre à un propriétaire de petite entreprise pour une somme d’argent dérisoire.
Apple consolide sa victoire de 2019
Alors que le tribunal de district d'Oslo a jugé en 2018 que Huseby n'avait pas violé la marque d'Apple, car Huseby n'a jamais prétendu utiliser des pièces de rechange d'origine non utilisées, la Cour d'appel a jugé en 2019 que les écrans importés étaient des copies illégales. L'affaire a ensuite été portée devant la Cour suprême.
Le 4 juin 2020, Apple a remporté son procès. « C'est une grande victoire pour des entreprises comme Apple qui veulent fermer de petites entreprises comme la mienne et contrôler les prix des réparations. Ils peuvent prétendre que le coût de changer un écran sera le même que d'en acheter un nouveau, donc il n'y a aucune raison de le réparer. Ils entravent la concurrence et créent une situation de monopole », a regretté Huseby.
Huseby a pris un risque considérable de porter cette affaire jusqu'à sa Cour suprême, lorsque d'autres entreprises dans la même situation ont cédé face à Apple afin d'éviter des procès et des frais juridiques considérables.
Il a été soutenu par 10 000 € de dons en participation collective émis par des centaines de donateurs de Norvège, d'Europe et du reste du monde. Après avoir payé des honoraires pour le recours, il fait maintenant face à de graves conséquences financières, notamment le paiement de sa propre équipe juridique et 23 000 € à Apple.
Commentant cette décision juridique, Chloé Mikolajczak du mouvement Right to Repair Europe avance :
« Les juges norvégiens ont pris la décision finale d'évaluer purement et simplement les violations de marques sur ces écrans, sur la base de détails obscurs et techniques qui sont entièrement invisibles pour les consommateurs. Ils n'ont pas modifié la décision de la Cour d'appel, bien que Huseby maintient qu'ils ont été remis à neuf.
« Les écrans reconditionnés fabriqués en Chine proviennent d'entreprises qui retirent le verre brisé de l'écran LCD Apple d'origine de haute qualité et y appliquent un nouveau verre. Habituellement, le reste de l'assemblage est une pièce d'origine réutilisée et le verre est fabriqué par un tiers.
« Comme le dit Huseby, Apple utilise la loi sur le droit d'auteur comme une «arme» en plaçant plusieurs logos et codes QR sur chaque composant de ses écrans, sachant que le marché gris chinois ne s'adressera pas spécifiquement aux réparateurs d'autres pays qui appliquent avec zèle le droit d'auteur. Cela crée une sorte de «roulette russe» pour les réparateurs qui souhaitent importer des pièces reconditionnées et abordables de Chine. Apple peut alors demander aux autorités douanières de ces pays de saisir les expéditions de pièces reconditionnées ».
Pendant ce temps, Apple refuse de vendre des pièces détachées d'origine à des réparateurs indépendants en Europe. Ils ont donc le choix: acheter des pièces génériques inférieures ou des pièces remises à neuf ou après-vente, comme celles que Huseby a achetées.
Selon Chloé, « l'utilisation agressive par Apple des droits d'auteur afin d'arrêter les réparations indépendantes augmentera finalement les prix pour les consommateurs, s'ils sont obligés de choisir des réparateurs agréés Apple beaucoup plus chers qui ont accès à de nouvelles pièces d'origine. Par exemple, alors qu'Apple en Norvège facture 1 959,75 NOK (185 EU) pour le service postal pour remplacer l'écran d'un iPhone 6s, les services de réparation agréés d'Apple en Norvège facturent 2699 NOK (255 EU), plus de trois fois plus que les frais de Huseby, 800 NOK (75 EU) ».
Et d’estimer que « Cette affaire concernait à la fois Apple, qui a utilisé son pouvoir à la fois pour faire pression sur les autorités norvégiennes et contrôler le processus, et des textes de loi inappropriés au moment où nous vivons. Prolonger le cycle de vie des mobiles via la réparation est le meilleur moyen de réduire leur impact environnemental, et les pièces reconditionnées sont l'option la plus écologique et la plus rentable. »
Une affaire qui pourrait faire office de jurisprudence ?
Kaja Juul Skarbø, qui travaille pour Restarters Norway, avait déclaré que le cas de Huseby était d’une importance capitale pour le reste de la communauté des réparateurs norvégiens : « S'il perd, le tribunal dira que vous ne pouvez pas importer les écrans rénovés, et qu'Apple ne fournit pas les écrans d'origine », a-t-elle noté. « Alors, en quoi est-ce une résolution ? De toute évidence, les réparateurs indépendants ne disposeraient pas des pièces de rechange nécessaires pour pouvoir effectuer les réparations. La conséquence pourrait être que vous ne pourrez plus faire de réparation indépendante ».
Janet Gunter, cofondatrice du Restart Project britannique, qui préconise la réparation DIY (Do it Yourself) en Europe, allait elle aussi dans le même sens en émettant une hypothèse selon laquelle Apple pourrait être en train de tâter le terrain et que, si l’entreprise réussissait à s'imposer face à Huseby, d'autres propriétaires de sociétés de réparation indépendants utilisant des pièces de rechange pourraient être les prochains sur la liste : « Pourquoi choisir un gars à Ski en Norvège ? Je ne comprends pas pourquoi ils ont ciblé ce type ».
Source : Right to Repair
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