Apple a subi un revers majeur dans sa bataille juridique contre Epic Games, le créateur du jeu populaire Fortnite. La cour d’appel du neuvième circuit des États-Unis a confirmé la décision d’un tribunal inférieur qui oblige Apple à autoriser les applications tierces sur son système d’exploitation iOS, mettant ainsi fin à son monopole sur la distribution des applications et le traitement des paiements.
Pour mémoire, en août 2020, le fabricant de l'iPhone a retiré Fortnite de son App Store après qu'Epic a mis en place son propre système de paiement des achats dans les applications, une solution qui lui permet d'échapper aux 30% de commissions qu'Apple prélève sur chaque achat. Epic et d'autres développeurs se sont rebellés contre cette pratique, mais aussi contre le fait qu'Apple les oblige à utiliser son propre système de paiement et interdit les alternatives. Pour se justifier, l'entreprise avance l'argument de la sécurité des utilisateurs.
Après un long procès, la juge Yvonne Gonzalez Rogers du tribunal de district des États-Unis a rendu en octobre 2021 une décision largement favorable à Apple et a confirmé sa pratique consistant à demander aux développeurs d'utiliser son système de paiement in-app, pour lequel il perçoit des commissions. Toutefois, Gonzalez s'est dite préoccupée par le fait que les consommateurs n'avaient pas accès à des informations sur les autres moyens de payer pour les applications. Yvonne Gonzalez Rogers a alors émis une ordonnance restrictive « interdisant [à Apple] de défendre aux développeurs d'inclure dans leurs applications et leurs boutons de métadonnées, des liens externes ou d'autres appels à l'action qui dirigent les clients vers des mécanismes d'achat, en plus des achats intégrés et de la communication avec les clients via des points de contact obtenus volontairement de clients via l'enregistrement de compte dans l'application ».
En bref, les applications iOS devaient être autorisées à diriger les utilisateurs vers des options de paiement au-delà de celles proposées par Apple. L'injonction devait prendre effet le 9 décembre 2021 à moins d'une décision différente par une juridiction supérieure.
Avec un manque à gagner s'élevant potentiellement à plusieurs milliards de dollars et une certaine perte de contrôle sur l'App Store en jeu, Apple a fait appel pour contester cette conclusion et a demandé que l'ordonnance soit mise en suspens le temps de l'appel. Cet appel s'est achevé lundi le 24 avril 2023.
La question de sécurité
Apple a mis en avant l’argument de la protection des utilisateurs. Apple a déclaré dans son dossier que se conformer à l'ordonnance pourrait lui causer du tort et nuire aux consommateurs. Pour l'éditeur de l'App Store, les moyens de paiement alternatifs, notamment disponibles sous la forme de boutons pointant vers des liens externes, présentent des risques certains. L'entreprise explique : « Si Apple peut examiner les liens fournis dans la version de l’application envoyée en certification, rien ne pourra empêcher un développeur de modifier la destination de ces liens ou le contenu des pages. Par ailleurs, Apple ne peut pas déterminer si l’utilisateur qui a cliqué sur un de ces liens a bel et bien reçu les contenus pour lesquels il a payés. »
« Apple reçoit déjà plusieurs centaines de milliers de demandes des utilisateurs chaque jour, et autoriser les moyens de paiement alternatifs va les augmenter », note l'entreprise. Il faut préciser que les moyens de paiement alternatifs représentent surtout un manque à gagner pour Apple puisqu'il ne sera pas possible de prélever une commission si son système de paiement n'est pas utilisé. Aussi, Apple demande du temps à la justice pour mieux évaluer les risques, tout en étudiant les volets juridiques, technologiques et économiques de ce qu’il décrit comme un bouleversement dans son écosystème.
« À un niveau élevé, je pense que, sans restrictions réfléchies en place pour protéger les consommateurs, les développeurs et la plateforme iOS, ce changement nuira aux utilisateurs, aux développeurs et à la plate-forme iOS en général », a déclaré Trystan Kosmynka, directeur principal d'App Review d'Apple.
Une victoire pour Apple, vraiment ?
Mais la cour d’appel a rejeté les arguments d’Apple selon lesquels ses politiques de l’App Store étaient nécessaires pour protéger la sécurité, la qualité et l’innovation de sa plateforme. Elle a estimé qu’Apple violait la loi antitrust de Californie en empêchant les développeurs et les consommateurs d’accéder à des sources alternatives de logiciels et de services.
En clair, Apple a perdu sur un point important : la conclusion de la juge Gonzales qui a estimé qu'Apple avait violé les règles « anti-steering » de la Californie et a exigé qu'Apple laisse les développeurs se connecter à des systèmes de paiement externes a été confirmée. Suite à cette décision, Apple ne peut plus restreindre les propriétaires d’iPhone à utiliser son système de paiement (ce qui pourrait porter un coup dur au modèle économique de l’App Store).
Apple a exprimé son désaccord avec le verdict et a déclaré qu’il envisageait un recours supplémentaire. La société a affirmé que ses politiques de l’App Store favorisaient la concurrence, l’innovation et l’opportunité, et qu’elle était fière de ses contributions aux utilisateurs et aux développeurs du monde entier.
Fortnite ne sera pas rétabli sur l'App Store
Par ailleurs, la cour d’appel a également rejeté la demande d’Epic de rétablir Fortnite sur l’App Store, après que le jeu a été retiré en 2020 pour avoir contourné la commission de 30% qu’Apple prélève sur les achats intégrés. Epic Games avait alors intenté une action en justice contre Apple, l’accusant d’abuser de sa position dominante et de restreindre la concurrence, évoquant le Sherman Act qui stipule qu'une entreprise en position dominante ne peut pas prendre de mesures unilatérales destinées à lui conférer un monopole.
Le PDG d'Epic Games, Tim Sweeney, a partagé une réponse à la décision dans un fil de discussion sur Twitter, notant que si « Apple a prévalu devant le 9e Circuit Court », la décision du tribunal de rejeter les politiques anti-steering d'Apple « permet aux développeurs iOS d'envoyer les consommateurs sur le Web pour faire affaire avec eux directement là-bas ». « Nous travaillons sur les prochaines étapes », ajoute Sweeney.
[TWITTER]<blockquote class="twitter-tweet"><p lang="en" dir="ltr">Apple prevailed at the 9th Circuit Court. Though the court upheld the ruling that Apple's restraints have "a substantial anticompetitive effect that harms consumers", they found we didn't prove our Sherman Act case.</p>— Tim Sweeney (@TimSweeneyEpic) <a href="https://twitter.com/TimSweeneyEpic/status/1650592345111273484?ref_src=twsrc%5Etfw">April 24, 2023</a></blockquote> <script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8"></script> [/TWITTER]
Envoyé par porte parole d'Apple
Conclusion
Malgré les propos d'Apple, qui met en avant le nombre de griefs remportés, la décision de la cour d’appel est une victoire pour Epic Games et les autres développeurs qui se plaignent depuis longtemps des pratiques d’Apple. Elle pourrait avoir des conséquences importantes pour l’industrie du numérique, en ouvrant la voie à une plus grande diversité et à une baisse des prix pour les applications et les contenus sur iOS.
L’affaire entre Apple et Epic Games est l’une des plus médiatisées et des plus controversées dans le domaine du numérique. Elle illustre les tensions croissantes entre les géants de la technologie et les régulateurs, qui cherchent à limiter leur pouvoir et à protéger les intérêts des petits acteurs et des utilisateurs finaux34.
L’issue du procès pourrait avoir des répercussions au-delà du marché américain, où Apple fait également face à des enquêtes et à des plaintes dans plusieurs pays, notamment en Europe, en Australie et en Corée du Sud. Elle pourrait également influencer le sort d’autres litiges impliquant des plateformes numériques comme Google, Amazon ou Facebook.
Source : décision de justice
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