La guerre économique entre les États-Unis et la Chine s'est considérablement aggravée vers la fin de la dernière décennie. Les deux puissances se sanctionnent à tour de rôle, renforcent les règles en matière de coopération entre les entreprises américaines et chinoises, imposent des restrictions strictes sur l'exportation de certaines matières premières essentielles à la fabrication des appareils et composants électroniques, et bien d'autres. Côté chinois, Huawei est devenu le symbole de cette guerre, l'entreprise ayant été fortement impactée par les sanctions américaines. Côté américain, Walter Isaacson pense qu'Apple sera le plus durement touché.
Lors d'une interview accordée à l'émission "Squawk Box" de la chaîne CNBC, Isaacson est brièvement revenu sur cette confrontation interposée qui perdure entre les États-Unis et la Chine. Walter Isaacson est auteur et biographe américain. Il est le PDG d'Aspen Institute, a été le PDG de CNN et le directeur de la rédaction du magazine Time, pour lequel il est actuellement chroniqueur. Toutefois, il est surtout connu pour avoir écrit la biographie du regretté Steve Jobs, cofondateur d'Apple, et celle d'Elon Musk, PDG de Tesla et de SpaceX. Selon lui, Apple ressentirait les effets de plein fouet si les tensions entre les États-Unis et la Chine s'exacerbaient.
Il a déclaré que le fabricant de l'iPhone pourrait être l'entreprise américaine la plus durement touchée dans un tel scénario. « Nous sommes, d'une manière ou d'une autre, en train d'essayer de nous désengager économiquement de la Chine, ce qui n'est pas facile à faire, et Apple sera la plus touchée », a déclaré Isaacson. Il ajoute qu'Apple aura le plus grand mal à réduire sa dépendance à l'égard de la Chine : « la plupart des entreprises essaient de réduire leur dépendance à l'égard de la Chine, mais ce sera le plus difficile pour Apple ». Dans le rang des critiques, l'on estime qu'Apple a mis tous ses œufs dans le même panier au non de la réduction des coûts.
Que faut-il faire dans ce cas ? « Nous allons devoir essayer de trouver un équilibre entre le désengagement total, qui, à mon avis, ne fonctionnera pas, et la dépendance totale, dont nous avons été un peu trop dépendants », affirme Isaacson. Ces dernières années, Apple a entrepris des efforts visant à transférer potentiellement jusqu'à 50 % de la production de l'iPhone en Inde en vue de réduire sa dépendance à la Chine. La firme de Cupertino ambitionne d'atteindre ce palier d'ici à 2027 et pourrait également construire également des usines dans d'autres pays pour la fabrication de ces équipements. Mais les critiques sont sceptiques à l'égard de ce projet.
« Ils ont essayé de mettre en place une chaîne d'approvisionnement en Inde, mais c'est difficile pour toutes les entreprises technologiques. La Chine a tout ce qu'il faut pour une entreprise de matériels informatiques. Tout comme Apple a construit son écosystème de manière à ce que vous y soyez piégé, la Chine fait de même. L'autre problème, c'est la cupidité d'Apple qui n'a d'égale nulle part ailleurs. C'est une entreprise qui ne se soucie pas de la protection de ses travailleurs et cherche toujours la main-d'œuvre qui fabriquera ses produits pour presque rien afin qu'elle puisse les revendre à ses clients avec une marge exceptionnelle », a écrit un critique.
Les commentaires de Isaacson sont intervenus peu après la récente visite du PDG d'Apple, Tim Cook, en Chine, où il a rencontré le ministre chinois du Commerce, Wang Wentao. Cette visite s'est déroulée après que des rapports ont fait état de la baisse des ventes de l'iPhone 15 dans le pays, l'un des plus grands marchés d'Apple. La production d'Apple est aussi confrontée à des difficultés en Chine, où sont fabriqués plus de 95 % des iPhone, Macs, AirPods et iPads. Selon certaines sources, les autorités chinoises auraient commencé à inspecter Foxconn, qui est basé à Taïwan et est un important fournisseur d'iPhone, au sujet des taxes et de l'utilisation des terres.
Cette nouvelle intervient après que le fondateur milliardaire de Foxconn, Terry Gou, a annoncé sa candidature à la présidence de Taïwan en août. La Maison Blanche a récemment introduit des contrôles à l'exportation sur les ventes de semiconducteurs qui pourraient rendre difficile pour les entreprises chinoises l'obtention de puces fabriquées à partir de la technologie américaine, ce qui pourrait exacerber les tensions entre les deux pays. Washington envisagerait également de restreindre l'accès de la Chine aux services américains de cloud computing en vue de l'empêcher de louer des GPU avancées afin de combler ses lacunes en matière de puces d'IA.
En réponse, la Chine a mis en place cet été des restrictions sur les exportations de métaux et de terres rares essentiels à la fabrication des semiconducteurs, évoquant des raisons de sécurité nationale, mais sans donner d'autres détails. En août, environ un mois après l'annonce de cette décision, les exportations chinoises de gallium et de germanium, deux minéraux rares essentiels à la fabrication de puces, sont tombées à zéro. Selon des données publiées en septembre par les services de douane chinois, en juillet, le pays aurait exporté 5,15 tonnes métriques de produits de gallium forgé et 8,1 tonnes métriques de produits de germanium forgé.
Selon les analystes, ces restrictions risquent de poser des problèmes à long terme. Critical Raw Materials Alliance, une initiative de l'UE, estime que la Chine produit environ 80 % du gallium et 60 % du germanium dans le monde. Cependant, elle n'a vendu aucun de ces éléments sur les marchés internationaux le mois dernier, ce qui oblige les entreprises à chercher d'autres fournisseurs ou à attendre des dérogations de la part du ministère chinois du Commerce. Certaines sources indiquent que les achats ayant des minéraux chinois ont augmenté avant la date d'entrée en vigueur des restrictions. Ce pourrait expliquer l'absence d'exportations en août.
Par ailleurs, en dépit des sanctions des États-Unis, Huawei a présenté le mois dernier le smartphone Mate 60 Pro, ce qui a provoqué une onde de choc dans le monde de la technologie. Ce modèle est équipé d'une puce avancée, créée malgré des sanctions américaines visant à empêcher le géant chinois de la technologie d'accéder à ce type de technologie. La sortie du Mate 60 Pro a créé une pression politique pour que les États-Unis renforcent les sanctions contre Huawei et le fabricant chinois de puces SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corp.). Ce dernier aurait fabriqué la puce avancée qui pilote le nouveau smartphone Mate 60 Pro.
En 2021, les États-Unis et leurs alliés ont annoncé leur intention de vouloir construire une chaîne d'approvisionnement technologique sans la Chine pour soutenir les industries des puces, des batteries et des minéraux des terres rares. Selon le président américain Joe Biden, cela devrait permettre de remédier aux vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement dans les secteurs critiques de l'économie. L'objectif de Biden est de développer des chaînes d'approvisionnement moins dépendantes de la Chine pour les puces et autres produits importants. Il devrait le faire en partenariat avec Taïwan et des pays comme le Japon et la Corée du Sud.
Mais de nombreux rapports ont souligné que l'industrie chinoise des puces est en plein essor et qu'elle pourrait rattraper son retard sur les États-Unis dans un avenir proche. Cependant, les experts mettent en garde contre les restrictions arbitraires qui pourraient accentuer les problèmes des chaînes d'approvisionnement mondiaux, en particulier, celle des semiconducteurs. Cela risquerait d'aggraver la pénurie de puces, qui perdure et peine à être résolue, et ralentir l'innovation technologique.
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Quelles pourraient être les conséquences d'une aggravation des tensions entre les États-Unis et la Chine ?
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