Digital Markets Act : vue d'ensemble
Le DMA (pour Digital Markets Act) est, avec le règlement sur les services numériques (DSA), un des grands chantiers numériques de l’Union européenne.
Le DMA a pour but de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des grandes enseignes du numérique, telles que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), qui ont acquis une position de quasi-monopole sur le marché européen, au détriment des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et du choix des consommateurs. Le DMA impose aux plateformes numériques considérées comme des « gardiennes » du marché, c’est-à-dire celles qui ont un impact significatif sur le marché intérieur et qui servent d’intermédiaires incontournables pour les utilisateurs, de respecter un ensemble d’obligations et d’interdictions, sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires mondial.
Sont présumées être des contrôleurs d’accès, au sens de la nouvelle législation européenne, les entreprises qui :
- fournissent un ou plusieurs services de plateforme essentiels dans au moins trois pays européens ;
- ont un chiffre d’affaires ou une valorisation boursière très élevés : 7,5 milliards d'euros au moins de chiffre d'affaires annuel en Europe dans les trois dernières années ou 75 milliards d'euros ou plus de capitalisation boursière durant la dernière année ;
- enregistrent un grand nombre d’utilisateurs dans l'UE : plus de 45 millions d'Européens par mois et 10 000 professionnels par an pendant les trois dernières années.
Le 6 septembre 2023, la Commission européenne a publié une première liste de six contrôleurs d'accès. Il s'agit notamment des GAFAM américains Alphabet (Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook) et Microsoft ainsi que du groupe chinois ByteDance, propriétaire de TikTok.
Les entreprises désignées comme gardiennes devront nommer un ou plusieurs responsables de la conformité avec le règlement, sous peine d'amende, et respecter d'ici le 6 mars 2024 une petite vingtaine d’obligations ou d'interdictions, pour chacun de leurs services de plateforme essentiels. Certaines sont applicables à tous, d'autres seront prononcées sur mesure.
Les contrôleurs d'accès devront par exemple :
- rendre aussi facile le désabonnement que l'abonnement à un service de plateforme essentiel ;
- permettre de désinstaller facilement sur son téléphone, son ordinateur ou sa tablette des applications préinstallées ;
- rendre interopérables les fonctionnalités de base de leurs services de messagerie instantanée (Whatsapp, Facebook Messenger…) avec leurs concurrents plus modestes ;
- autoriser les vendeurs à promouvoir leurs offres et à conclure des contrats avec leurs clients en dehors des plateformes ;
- donner aux vendeurs l'accès à leurs données de performance marketing ou publicitaire sur leur plateforme ;
- informer la Commission européenne des acquisitions et fusions qu'ils réalisent.
Apple a contesté en vain sa désignation comme « gardien » pour certains de ses services
Que vous soyez un consommateur souhaitant acheter une application iPhone ou un développeur souhaitant en vendre une, il n'y a qu'un seul endroit où vous pouvez le faire : l'App Store. Apple contrôle totalement les applications qu'elle autorise à entrer dans l'App Store et fixe ses propres conditions - notamment sa commission de 15 ou 30 % - que les développeurs et les consommateurs doivent accepter. De nombreux régulateurs, dont l'Union européenne, considèrent qu'il s'agit d'une violation du droit de la concurrence. Apple n'hésite pas à bannir les développeurs qui remettent en cause son diktat, mais l'UE veut y remédier avec ses nouvelles règles.
En 2022, Gerard de Graaf, un responsable européen qui a contribué à l’adoption du DMA, a déclaré : « Nous nous attendons à ce que les conséquences soient importantes[...]. Si vous possédez un iPhone, vous devriez pouvoir télécharger des applications non seulement depuis l'App Store, mais aussi depuis d'autres magasins d'applications ou depuis Internet ».
Les règles du DMA nécessiteront de nombreux changements de la part d'Apple. L'entreprise devra, par exemple, autoriser les magasins d'applications tiers et donc également le chargement latéral d'applications sur les iPhone. Apple devra également autoriser les développeurs à utiliser des systèmes de paiement tiers, plutôt que d'être obligé d'utiliser celui d'Apple. Les utilisateurs devront également pouvoir abandonner Siri au profit d’un assistant vocal alternatif. Et il lui sera interdit de mettre en avant ses propres services par rapport à ceux de leurs concurrents, par exemple en promouvant injustement Apple Music sur l'App Store plutôt que Spotify.
Cependant, Apple n'a pas voulu se laisser faire. L'entreprise a fait appel de sa désignation de « gardien ».
Plus tôt ce mois-ci, lors d'une audience devant le Tribunal de première instance du Luxembourg, la deuxième plus haute juridiction d'Europe, Apple a déclaré que « l'App Store n'est pas une entité unique et les régulateurs européens ont commis une erreur en le considérant comme tel ». Apple a déclaré : « la Commission européenne a commis des erreurs factuelles matérielles en concluant que les cinq App Store de la requérante constituent un service de plateforme unique ». Apple sous-entend que l'App Store de l'iPhone n'est pas le même que celui de l'iPad ou du Mac.
D'après Apple, chacun des cinq App Store est conçu pour distribuer des applications pour un système d'exploitation et un appareil Apple spécifiques. L'argument paraît étrange et certains critiques qualifient cela de complètement « absurde ». L'App Store d'iOS a été classé comme un "gardien", car l'UE considère qu'il dispose d'une large base d'utilisateurs. L'argument d'Apple consiste à classer les utilisateurs de l'App Store suivant cinq groupes représentant les cinq plateformes susmentionnées. Et selon les chiffres obtenus, aucun des cinq App Store ne pourrait ne pas répondre aux critères nécessaires pour qu'un service numérique soit soumis aux exigences du DMA.
Le système d'exploitation macOS d'Apple n'a pas été désigné comme contrôleur d'accès parce qu'il autorise les applications provenant de sources tierces et parce qu'il compte moins d'utilisateurs que Microsoft Windows. Cet appel est la dernière tentative d'Apple en vue de soustraire l'App Store à la nouvelle réglementation de l'UE et de sauver les dizaines de milliards de revenus qu'il génère chaque année. Mais encore, en suivant le raisonnement d'Apple, le nombre d'App Store géré par l'entreprise pourrait techniquement bientôt devenir 6, si l'on compte l'App Store visionOS à venir. visionOS est le système d'exploitation du casque de réalité mixte d'Apple.
Apple avait précédemment fait valoir que son App Store ne pouvait pas être considéré comme un marché d'applications logicielles, mais plutôt comme cinq marchés distincts proposés sur cinq appareils : iPhone, iPad, ordinateurs Mac, Apple TV et Apple Watch. Selon cette logique, seul l’App Store iOS devrait être considéré comme un contrôleur d’accès, a soutenu Apple. En fin de compte, l'UE n'est pas d'accord, affirmant que « la nature, la fonction et l'utilisation des différents appareils sur lesquels l'App Store est accessible » ne « modifient pas l'objectif commun que l'App Store sert sur tous les appareils Apple ».
Moyennant des frais, Apple va autoriser les développeurs à proposer leurs applications en dehors de l'App Store sur iPhone en Europe
Selon le Wall Street Journal, Apple prévoit de donner aux utilisateurs la possibilité de télécharger des logiciels sur l’iPhone pour la première fois sans passer par l’App Store. Cependant, la société se réserve le droit de réviser chaque application téléchargée hors de sa plateforme et de percevoir des frais auprès des développeurs qui offrent cette option. Apple n’a pas encore dévoilé le montant de ces frais ni les critères de révision des applications.
Apple travaillerait depuis plus d'un an sur une réponse à ce changement de loi et dispose d'un délai de trois mois pour finaliser son plan. Pour mémoire, l'UE a adopté la loi sur les marchés numériques en 2022 dans le but de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles des grandes entreprises technologiques et de s'attaquer au contrôle strict exercé par Apple sur les téléchargements de logiciels et l'App Store. Le DMA vise à empêcher les pratiques commerciales jugées injustes, telles que le favoritisme des services propres ou le blocage des services tiers.
Apple a défendu sa politique de contrôle des téléchargements via l’App Store, affirmant qu’elle était nécessaire pour garantir la sécurité de l’iPhone et le protéger des virus. Les critiques ont qualifié le système d’Apple d’anticoncurrentiel, estimant qu’il percevait des commissions trop élevées et qu’il concurrençait de manière déloyale ses propres applications.
Meta Platforms, Spotify et d’autres sociétés se préparent à offrir de nouvelles options de téléchargement à leurs clients en anticipation des nouvelles règles. Meta envisage un système qui permettrait aux utilisateurs de télécharger des applications directement à partir des publicités Facebook. Spotify prévoit de proposer aux utilisateurs la possibilité de télécharger certaines de ses applications pour iPhone directement depuis son site web, selon la société. Microsoft a envisagé par le passé de lancer sa propre boutique d’applications tierces pour les jeux.
Apple n’est pas la seule entreprise technologique à devoir s’adapter au DMA. Meta a annoncé lundi qu’il allait se conformer à la loi en donnant aux utilisateurs plus de choix sur la façon dont ils consomment ses services. La société a déclaré qu’elle allait permettre aux utilisateurs de désactiver certaines fonctionnalités, telles que les recommandations personnalisées ou les publicités ciblées, et de transférer leurs données vers d’autres plateformes.
Le DMA est l’une des nombreuses initiatives réglementaires que l’Union européenne a lancées ces dernières années pour encadrer le secteur technologique. L’UE a également adopté le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018, qui impose des règles strictes en matière de collecte et de traitement des données personnelles. L’UE a également infligé des amendes record à Google, Apple et Amazon pour des infractions à la concurrence ou à la fiscalité.
Source : WSJ
Et vous ?
Que pensez-vous de la nouvelle loi européenne sur les marchés numériques (DMA) ? Est-elle efficace pour protéger les droits des utilisateurs et la concurrence ?
Quels sont les avantages et les inconvénients de pouvoir télécharger des applications hors de l’App Store ? Quels sont les risques potentiels pour la sécurité et la confidentialité ?
Comment Apple peut-il justifier de percevoir des frais et de réviser les applications téléchargées hors de sa plateforme ? Est-ce une forme de contrôle ou de service ?
Quel impact cette mesure aura-t-elle sur les développeurs et les entreprises qui proposent des applications pour l’iPhone ? Comment vont-ils s’adapter aux nouvelles règles ?
Quelle est votre opinion sur la politique d’Apple concernant l’App Store ? Êtes-vous satisfait ou insatisfait de son fonctionnement ? Pourquoi ?