Spotify accusait Apple de limiter le choix et la concurrence dans son App Store en prélevant une commission de 30% sur tous les achats effectués via son système de paiement intégré, y compris les abonnements aux services de musique. Spotify affirmait également qu’Apple empêchait les applications concurrentes d’informer les utilisateurs de l’existence d’options moins chères pour s’abonner en dehors de l’App Store.
La Commission européenne aurait conclu qu’Apple a enfreint les règles de concurrence du bloc en favorisant son propre service de musique, Apple Music, au détriment des autres acteurs du marché. Elle pourrait également interdire à Apple de continuer à appliquer les règles dites “anti-orientation”, qui empêchent les applications tierces de communiquer avec leurs clients sur les alternatives possibles.
Apple n’a pas réagi directement au rapport du FT, affirmant qu’elle ne commente pas les spéculations, mais a rappelé qu’elle avait déjà obtenu un rétrécissement du champ d’investigation de la Commission l’année dernière. La Commission avait alors abandonné les aspects liés à la “taxe” de 30% imposée par Apple, pour se concentrer sur l’interdiction faite aux applications de renvoyer les utilisateurs vers d’autres moyens de paiement.
« Nous sommes heureux que la Commission ait réduit son dossier et ne remette plus en cause le droit d’Apple de percevoir une commission pour les biens numériques et d’exiger l’utilisation des systèmes de paiement intégrés que les utilisateurs apprécient », avait déclaré Apple à l’époque.
Un montant qui fait réagir
Plusieurs analystes ont affiché leur déception. Florian Mueller, expert en brevets s'est ouvertement plaint de l'insuffisance de cette décision. Selon lui, cette décision « n'aidera personne en dehors du secteur du streaming musical, qui ne se réfère qu'aux règles anti-trust et qui prévoit une amende peu élevée par rapport, par exemple, aux affaires Google ». Pour lui, tout cela est même « risible ».
Il a fallu plus de 5 ans à la Commission européenne pour parvenir à un jugement étriqué qui n'aidera personne en dehors du streaming musical, qui ne concerne que les règles de lutte contre le piratage (et non les alternatives de paiement in-app) et qui prévoit une amende peu élevée par rapport, par exemple, aux affaires Google.
C'est à mourir de rire.
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L'évolution du litige
Tout a commencé en 2016 lorsque, dans le combat pour contrôler le marché du streaming musical, une mise à jour de l’application Spotify sur iOS a été refusée. Spotify, sans évoquer explicitement les motifs de rejet, s’en est prise à Apple. Elle a accusé la firme de Tim Cook d’utiliser son processus de validation de l’App Store pour mettre en avant son propre service de streaming de musique. En guise de justification, Apple a expliqué que l’éditeur ne respecte pas les règles commerciales. En effet, Spotify ne proposait plus à ses utilisateurs la possibilité de s’inscrire à son offre premium depuis son application. Une décision qui ne plairait pas à beaucoup d’utilisateurs, mais qui permettait au service d’éviter de payer les 30 % de commission à Apple comme l’exigent les règles de l’App Store. Or, Spotify proposait de le faire en passant par son site officiel, ce qui serait contraire aux règles imposées par Apple, qui stipulent qu’un développeur doit proposer la possibilité de s’abonner depuis l’application si un tel abonnement pouvait être souscrit ailleurs.
La firme de Cupertino a estimé que les propos tenus par Spotify sont infondés et ne justifient guère son agacement. De plus, la firme a déclaré regretter le fait que Spotify a décidé de rendre l’affaire publique. Bruce Sewell, directeur juridique d’Apple, a envoyé un courrier pour clarifier la situation avec une certaine ironie : « Il ne fait aucun doute que Spotify a largement bénéficié de son association avec l’App Store. Depuis votre arrivée en 2009 sur l’App Store, la plateforme d’Apple vous a fourni 160 millions de téléchargements pour votre application, engendrant des centaines de millions de dollars de revenus incrémentiels pour Spotify. C’est pourquoi nous sommes troublés que vous demandiez à être exemptés des règles qui s’appliquent à tous les développeurs ».
Apple a souligné dans sa lettre que ses règles s’appliquent à tout le monde, dans le but de favoriser la compétition et non pas de la dissoudre. Les autres services concurrents de streaming de musique proposent leurs applications sur l’App Store et sont soumis aux mêmes conditions. Pour la firme, Spotify demande un traitement de faveur, elle voudrait profiter des avantages de l’écosystème mis en place par Apple sans suivre les règles et payer une compensation. Bruce Sewell a précisé les motifs du rejet de la mise à jour de l’application Spotify, à savoir l’impossibilité de s’abonner directement depuis l’application iOS et l’affichage d’une simple bannière d’information, une tentative « manifeste de contourner les règles d’achats in-App de l’App Store ». Enfin il a noté qu’il serait heureux de permettre et de faciliter la validation de la mise à jour de Spotify sur iOS, dès qu’elle sera conforme aux règles et réincorporera la fonction d’abonnement dans l’application.
Trois ans plus tard, la tension s’est amplifiée
En 2019, le combat a pris une autre dimension. La Commission européenne a lancé une enquête sur la concurrence à l’encontre de l’affirmation de Spotify selon laquelle le fabricant d’iPhone utiliserait sa position de gardien de l’App Store pour « désavantager délibérément d’autres développeurs d’applications ».
Dans une plainte déposée à la CE en mars 2019, Spotify a déclaré qu'Apple avait « incliné le terrain de jeu » en exploitant iOS, la plateforme et l'App Store pour la distribution, ainsi que son propre rival de Spotify, Apple Music.
Daniel Ek, PDG de Spotify, a notamment avancé ceci :
« Ces dernières années, Apple a introduit dans l'App Store des règles qui limitent délibérément le choix et étouffent l'innovation au détriment de l'expérience utilisateur, agissant essentiellement à la fois comme joueur et comme arbitre pour désavantager délibérément les autres développeurs d'applications. Après avoir tenté sans succès de résoudre les problèmes directement avec Apple, nous demandons maintenant à la CE de prendre des mesures pour assurer une concurrence loyale.
« Apple exploite une plateforme qui, pour plus d'un milliard de personnes dans le monde, constitue la passerelle vers Internet. Apple est à la fois propriétaire de la plateforme iOS et de l'App Store - et concurrent de services tels que Spotify. En théorie, c'est bien. Mais dans le cas d’Apple, ils continuent à se donner un avantage injuste à chaque tournant.
« Pour illustrer ce que je veux dire, laissez-moi vous donner quelques exemples. Apple exige que Spotify et les autres services numériques paient une taxe de 30% sur les achats effectués via le système de paiement Apple, y compris la mise à niveau de notre service Gratuit vers notre service Premium. Si nous payions cette taxe, cela nous obligerait à gonfler artificiellement le prix de notre abonnement Premium bien au-dessus du prix de Apple Music. Et pour que nos prix restent concurrentiels pour nos clients, nous ne pouvons pas le faire.
« Sinon, si nous choisissons de ne pas utiliser le système de paiement d’Apple, nous appliquons une série de restrictions techniques et limitant l’expérience à Spotify. Par exemple, ils limitent notre communication avec nos clients, y compris notre portée au-delà de l'application. Dans certains cas, nous ne sommes même pas autorisés à envoyer des courriers électroniques à nos clients qui utilisent Apple. Apple bloque également régulièrement nos mises à niveau qui améliorent l'expérience. Au fil du temps, cela a entraîné le blocage de Spotify et d'autres concurrents des services Apple tels que Siri, HomePod et Apple Watch ».
DMA : le PDG de Spotify affirme que les nouveaux frais appliqués par Apple constitue une « extorsion pure et simple »
Apple a annoncé récemment la prise en charge du sideloading et des boutiques d'applications tierces pour les utilisateurs en Europe. Ces changements historiques entrent dans le cadre des efforts d'Apple pour se conformer à la loi européenne sur les marchés numériques (DMA). Dans une tentative visant à limiter son manque à gagner, Apple a également profité de la situation pour réviser sa politique sur les commissions, introduisant de nouveaux frais pour les développeurs européens. Cela a attisé l'ire de la communauté et la liste des dirigeants d'entreprises qui ne sont pas enchantés par ces nouvelles politiques ne cesse de s'allonger.
Parmi eux, figurent le PDG de Spotify qui a déclaré que les changements apportés par Apple représentent « un nouveau coup bas ». Il s'est exprimé après un communiqué de son entreprise qui reproche au fabricant de l'iPhone d'agir comme s'il ne pensait pas que les règles s'appliquaient à lui. Spotify a déclaré que les nouvelles règles montrent qu'Apple ne recule devant rien pour protéger ses profits. Il a appelé les autorités à intervenir pour interdire les nouveaux frais.
[TWITTER]<blockquote class="twitter-tweet"><p lang="en" dir="ltr">After sitting with our legal team to parse through the fine print of Apple's DMA announcement (that took a while), which is, at best vague and misleading, I wanted to share my thoughts. <br><br>While Apple has behaved badly for years, what they did yesterday represents a new low, even…</p>— Daniel Ek (@eldsjal) <a href="https://twitter.com/eldsjal/status/1750988499518362089?ref_src=twsrc%5Etfw">January 26, 2024</a></blockquote> <script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8"></script> [/TWITTER]
Daniel Ek pense que la plupart des développeurs d'applications ne seront pas en mesure d'adopter les nouvelles conditions d'Apple. En effet, le fabricant de l'iPhone a annoncé qu'il va autoriser pour la première fois les développeurs à créer et à distribuer des applications par l'intermédiaire de boutiques d'applications après le lancement d'iOS 17.4. Ces changements ne prendront effet que dans l'Union européenne. Cela peut sembler une victoire pour les développeurs, car cela ouvrira davantage de canaux de distribution, mais ils se plaignent du fait qu'Apple a mis en place une nouvelle stratégie pour les ponctionner.
Apple conservera non seulement le contrôle des places de marché tierces qui seront intégrées à son système, mais l'entreprise facturera également des frais pour les téléchargements effectués sur ces boutiques d'applications tierces. Les frais s'élèvent à 0,50 euro par installation et par an (après 1 million d'installations). Selon Daniel Ek, cela constitue une extorsion. Il a déclaré que Spotify se trouve dans une "situation intenable". Avec les nouvelles règles d'Apple, Spotify devrait payer 0,50 euro par utilisateur, ainsi qu'une commission de 17 %, ce qui est identique, voire pire, qu'avec les anciennes règles.
Daniel Ek affirme qu'une offre alternative sur l'App Store pourrait potentiellement décupler les coûts d'acquisition de clients en raison de la nécessité de payer la commission même pour les non-abonnés. « Si nous parvenions à retirer notre application de l'App Store et à n'exister que dans un magasin d'applications tiers, cela ne fonctionnerait toujours pas. Avec une base d'installation Apple dans l'UE de l'ordre de 100 millions d'utilisateurs, cette nouvelle taxe sur les téléchargements et les mises à jour pourrait faire grimper en flèche nos coûts d'acquisition de clients, en les décuplant potentiellement », a-t-il déclaré.
Conclusion
Apple n’est pas le seul géant de la tech à être dans le viseur des autorités européennes, qui cherchent à réguler le secteur et à préserver la concurrence. Google fait appel de trois amendes d’un montant total de plus de 8 milliards d’euros infligées par l’UE dans le cadre de différentes enquêtes. Amazon et Facebook font également l’objet de plusieurs procédures pour des pratiques jugées abusives ou anticoncurrentielles.
Source : FT
Et vous ?
Quelle lecture faites-vous de la situation ?
Que pensez-vous des accusations de Spotify vis-à-vis d'Apple ?
L'amende de 500 millions d'euros vous semble-t-elle risible, raisonnable ou démesurée ? Pourquoi ?
La nouvelle politique d'Apple respecte-t-elle selon vous le DMA ou s'agit-il d'une tentative de garder au maximum les développeurs enfermés dans son écosystème sur iOS ?
D'ailleurs, la DMA vous semble-t-elle efficace pour mettre fin aux comportements antitrust des grandes entreprises technologiques ? Dans quelle mesure ?