Phil Schiller, qui supervise la boutique d'applications de l'iPhone depuis sa création en 2008, a fait cet aveu lors d'un témoignage parfois penaud sur les nouvelles options de paiement qui, depuis leur introduction en janvier, ont été boudées par toutes les applications, à l'exception de quelques-unes d'entre elles. « Nous avons travaillé dur pour créer ce programme et je pense que nous devons faire beaucoup plus pour attirer les développeurs. Nous avons du pain sur la planche pour y parvenir », a-t-il déclaré. Cet aveu a suscité des critiques de la part des détracteurs d'Apple et pourrait déclencher un examen minutieux de ses pratiques.
Epic Games a poursuivi Apple en 2020 pour tenter de convaincre le tribunal à contraindre la firme de Cupertino à apporter des changements à ce que l'éditeur de jeux décrit comme les "règles dictatoriales" de l'App Store. Cependant, Epic Games a perdu largement son procès contre Apple, mais la juge de l'affaire, Yvonne Gonzalez Rogers, a ordonné en 2021 à Apple d'apporter un certain nombre de modifications à l'App Store. Ces modifications visaient à donner aux développeurs une plus grande liberté pour guider les utilisateurs d'applications vers d'autres moyens de paiement pour les biens numériques.
En janvier, la Cour suprême des États-Unis a refusé d'entendre l'appel d'Apple concernant l'ordonnance d'injonction. La plainte d'Apple critiquait ce qu'il appelle une tentative d'Epic de mettre les "outils et technologies d'Apple à la disposition des développeurs gratuitement". D'après la plainte, Epic Games souhaite que le tribunal microgère les activités commerciales d'Apple de manière à accroître la rentabilité de l'éditeur de jeux. De son côté, Epic Games a accusé Apple d'avoir violé l'ordonnance émise par le tribunal en 2021 et a demandé à la juge fédérale Rogers, du tribunal d'Oakland, de condamner Apple pour outrage au tribunal.
Schiller a répondu aux questions des avocats et d'un juge fédéral californien mercredi. L'audition de Schiller a eu lieu deux semaines après la tenue d'audiences au tribunal fédéral d'Oakland, en Californie, afin de déterminer si Apple respecte correctement l'ordonnance. La juge Rogers avait ordonné à Apple d'abaisser les "barrières" protégeant son système de paiement exclusif pour les transactions numériques intégrées et de permettre aux développeurs d'afficher des liens vers d'autres options. Mais Apple voit cette ordonnance comme une menace pour le modèle économique de l'App Store, qui est une importante source de revenus.
En effet, la décision de la juge Rogers risque de porter atteinte au lucratif système de paiement propriétaire d'Apple, qui génère des milliards de dollars par an grâce à des commissions allant de 15 % à 30 % du montant de l'achat sur les transactions numériques effectuées dans les applications iOS. Et après plus de deux ans de tentatives infructueuses pour faire annuler l'ordonnance, Apple s'est conformé à cette exigence en janvier. Pour cela, Apple a mis en place une procédure d'approbation des liens vers les systèmes de paiement alternatifs et a imposé des frais de 12 à 27 % lorsque les utilisateurs cliquaient sur ces options.
Ce changement a suscité de nombreuses critiques, les développeurs ne comprenant pas les raisons qui justifient ces nouveaux frais. Pour les détracteurs d'Apple comme Spotify et Epic Games, les nouveaux frais introduits par la firme de Cupertino constituent une escroquerie pure et simple. Selon Epic Games, les frais appliqués par Apple sur les clics sur les liens de paiement externes, combinés à d'autres coûts pour le traitement des paiements, rendent l'alternative plus coûteuse que le simple paiement des frais d'Apple pour l'utilisation de son système standard. L'éditeur a conclu qu'Apple sabote ainsi les objectifs de l'ordonnance.
Face aux objections d'Epic Games, la juge Rogers réfléchit actuellement à la possibilité de poursuivre Apple pour outrage au tribunal et de prendre d'autres mesures plus radicales visant à offrir aux consommateurs davantage de choix en matière de paiement, dans l'espoir de stimuler la concurrence et de faire baisser les prix. Il est important de rappeler qu'Apple tente par tous les moyens de protéger le jardin clos de l'App Store et sabote systématiquement toute tentative visant à casser son contrôle strict sur la plateforme. Apple a utilisé des tactiques similaires contre le règlement de l'UE sur les marchés numériques (DMA).
Selon les sources, au cours des cinq audiences qui se sont tenues jusqu'à présent sur le sujet, la juge Rogers s'est montrée frustrée à plusieurs reprises par les dirigeants d'Apple, tout en posant occasionnellement des questions suggérant qu'elle pense que le fabricant de l'iPhone se concentre principalement sur la manière de préserver ses marges bénéficiaires et de canaliser la plupart des paiements vers son système interne. Lors de son témoignage mercredi, Schiller a défendu à plusieurs reprises la réponse d'Apple à l'ordonnance de la juge Rogers. Il a déclaré au tribunal que ces changements partaient d'une bonne intention.
Schiller a déclaré que ces modifications visaient à permettre une plus grande concurrence tout en protégeant la vie privée et la sécurité des utilisateurs. Mais il a eu du mal à expliquer pourquoi l'entreprise reçoit si peu de demandes d'autorisation de liens de paiement externes. Au cours des quatre premiers mois, seules 38 applications ont demandé l'autorisation d'établir des liens de paiement externes, et seules 17 d'entre elles effectuent actuellement des transactions numériques. Ce chiffre est à comparer aux quelque 136 000 applications américaines qui ont effectué des transactions numériques aux États-Unis sur la période.
Schiller a déclaré que les faits qui ressortent des auditions l'ont incité à créer "un plan d'action" pour inciter davantage d'applications iOS à tirer parti des options de paiement externe. Les auditions doivent reprendre le 31 mai. Schiller reviendra à la barre pour poursuivre son témoignage. Apple pourrait faire face à de graves conséquences juridiques si l'entreprise ne parvient pas à convaincre le tribunal qu'elle n'a pas délibérément saboté les objectifs de l'ordonnance de 2021.
Source : témoignage de Phil Schiller, vice-président marketing d'Apple
Et vous ?
Quel est votre avis sur le sujet ?
Voir aussi
Spotify, Epic Games et d'autres soutiennent que les changements apportés par Apple à l'App Store ne sont pas conformes à la DMA, la transformant même en une « mascarade »
L'Epic Games Store sera lancée sur iOS et Android cette année et prélèvera une commission de 12 % sur les ventes dans l'UE, soit une commission plus modeste que celle prélevée par Apple et Google
La Cour suprême déclare qu'Apple peut conserver ses règles de paiement sur l'App Store pour l'instant et rejette ainsi la demande d'Epic de laisser l'ordonnance sur l'App Store prendre effet